Une machine incroyable et inconnue : le Batong BT-686

Il y a des découvertes qui vous rappellent pourquoi l’univers du rétrogaming est si fascinant. On pensait avoir tout vu, puis une machine improbable et incroyablement rare surgit de l’ombre pour nous faire regretter d’être passé à côté. C’est exactement ce qui s’est passé avec le Batong BT-686 Multimedia Computer. L’information avait été récemment relayée par ausretrogamer.com au début de l’été, et c’est grâce à l’excellente chaîne YouTube de Recalbox que j’ai découvert l’existence de cette incroyable machine, je me suis donc intéressé au sujet et mené des recherches afin d’en apprendre plus sur cet appareil et le context historique de sa sortie.

Le Batong BT-686 provient d’un coin mystérieux de l’ère des « clone wars » en Asie de l’Est, une période où les consoles de jeux étaient reproduites sans licence à grande échelle pour les marchés émergents. Fabriqué par une entreprise nommée Batong Electronics (八通电子), le système ne se contentait pas d’être un simple *Famiclone. Il représentait plutôt un type d’artefact technologique qui brouillait délibérément les frontières entre les différentes catégories d’appareils, une pratique de l’époque qui visait à se faire une place dans les foyers sous un déguisement subtil.
Ce dossier explore les mystères et les spécificités de cette machine peu documentée, un exemple intéressant de l’ingéniosité de l’époque qui illustre un chapitre fascinant et souvent négligé de l’histoire de la technologie.

Un aperçu de la bête: le Batong BT-686 en détail

Dès le premier regard, le Batong BT-686 se distingue par son apparence à la fois massive et intrigante. L’unité arbore un design tout-en-un, une coque beige épaisse qui fait immédiatement penser aux ordinateurs de bureau des années 80. Cet aspect hybride est au cœur même de son identité, le distinguant des nombreux autres Famiclones qui se contentaient de copier l’apparence de consoles existantes. L’appareil intègre plusieurs composants dans un seul châssis :  

• Un écran à tube cathodique (CRT) intégré.  
• Un clavier externe mécanique de taille standard et pleinement fonctionnel.  
• Un port cartouches Famicom.  
• Des ports dédiés pour des cartouches d’OS et de RAM, une caractéristique rare pour un appareil de ce type.  
• Lecteur de disquettes 3,5″ intégré
• Lecteur de cassettes intégré

BT-686
動作ヨシ！#ファミコン#パチモノ pic.twitter.com/5jnLgtMilA

— ユークァル (@youkal3) May 18, 2021

Le concept d’intégration de ces composants dans une seule unité n’est pas un simple choix de design, mais une stratégie de marché pertinente. Alors que la plupart des Famiclones visaient à offrir une alternative bon marché aux consoles de jeu officielles, le Batong BT-686 allait un pas plus loin en proposant une proposition de valeur unique. Il créait l’illusion d’un appareil à double usage, capable de satisfaire à la fois les désirs de divertissement et les impératifs d’apprentissage, ce qui pouvait être un argument de vente puissant auprès des parents soucieux de l’éducation ou des institutions disposant de budgets limités. C’est une approche plus élaborée que de simplement déguiser une console en un ordinateur pour contourner les réticences culturelles.  

En plus de ses caractéristiques physiques notables, le BT-686 est livré avec d’autres accessoires et fonctionnalités qui confirment sa nature hybride. On y trouve un convertisseur de broches NES-to-Famicom, permettant aux joueurs de faire fonctionner des jeux NTSC NES et une cartouche multi-jeux de bootleg contenant des classiques comme Super Mario Bros.. L’ensemble est un témoignage de l’ingéniosité et de la nature opportuniste de cette ère de l’histoire du jeu vidéo.  

Caractéristique	Description
Type de système	Hybride tout-en-un, combinant console de jeu et ordinateur éducatif.
Affichage	Écran CRT (tube cathodique) intégré.
Interface	Clavier de style mécanique, de taille standard et pleinement fonctionnel.
Compatibilité de jeu	Port pour cartouche Famicom, livré avec un convertisseur pour les jeux NTSC NES.
Logiciel	Ports pour cartouches OS et RAM, le système démarre via une cartouche propriétaire.
Spécifications techniques	CPU, taille de la RAM et autres spécifications précises sont indocumentées.

Le cœur mystérieux : Système d’exploitation et logiciel

L’expérience avec le Batong BT-686 commence par un écran de démarrage unique et distinctif. Lors de la mise sous tension, le système affiche un écran de chargement sur le thème de l’espace qui donne des « vibes d’une classe d’informatique dans un bunker de la guerre froide ». Cette ambiance est renforcée par le fonctionnement de la machine, qui démarre à partir d’une cartouche d’OS propriétaire, de manière similaire aux interpréteurs BASIC de l’époque. Des cartouches de RAM supplémentaires pouvaient également être utilisées pour étendre la mémoire, soulignant encore une fois la ressemblance avec les micro-ordinateurs des années 80.  

Les capacités de la machine en tant qu’ordinateur sont un point central de son intérêt. Le clavier, au contraire de ceux de nombreux autres clones qui étaient souvent factices ou à usage très limité, est pleinement fonctionnel. Il permet la saisie de texte et des commandes de type BASIC, confirmant son statut d’hybride console-ordinateur. L’analyse des sources de la communauté en ligne, notamment les discussions sur Reddit, met en lumière un élément crucial de sa conception. L’OS, souvent perçu comme un MS-DOS, est en réalité une version bootleg ou « HT-DOS », une interface conçue pour imiter un système d’exploitation de PC. Cette information est essentielle pour comprendre la stratégie de l’entreprise : l’interface « ordinateur » n’est pas une simple fonctionnalité ajoutée, mais une façade minutieusement élaborée, conçue pour convaincre les parents que leurs enfants achetaient un outil éducatif plutôt qu’une simple console de jeu. L’importance de cet aspect est confirmée par le contenu d’une vidéo YouTube qui présente une section dédiée à « The Chinese DOS and a little programming« .  

Un autre mystère entoure le nom de l’appareil. La mention « 686 » apposée sur la machine a soulevé des spéculations sur la présence d’une puce clone de type Intel 80686. Toutefois, cette théorie est rapidement déconstruite par la réalité technique : en tant que Famiclone, le système est basé sur une architecture 6502, rendant l’utilisation d’une puce Intel 686 impossible. La présence du nombre « 686 » sur la machine est un exemple des tactiques de marketing utilisées à l’époque. Dans les années 1990, les ordinateurs étaient couramment désignés par leur processeur (286, 386, 486). En affichant le « 686 », le fabricant faisait une fausse promesse technique en laissant entendre que l’appareil était plus avancé que les PC de l’époque, une tactique de plus pour séduire un consommateur non averti.  

La bataille des Famiclones

Pour apprécier pleinement le Batong BT-686, il est essentiel de le replacer dans le contexte historique plus large des Famiclones. Ces clones matériels non officiels du Nintendo Famicom/NES étaient monnaie courante dans les marchés émergents comme les pays post-soviétiques, l’Amérique du Sud et l’Asie. Ils étaient souvent plus abordables et plus accessibles que leurs homologues officiels, ce qui les rendait populaires.  

Cependant, le Batong BT-686 n’était pas un Famiclone typique. Son déguisement en « ordinateur éducatif » s’inscrivait dans une stratégie de marché précise. En vendant des consoles de jeux sous le prétexte d’outils d’apprentissage, les fabricants pouvaient contourner la méfiance des parents à l’égard des jeux vidéo et parfois même les restrictions gouvernementales sur l’importation de consoles. Cette tactique n’était pas unique au Batong, et une comparaison avec d’autres appareils similaires de l’époque révèle un phénomène plus vaste.  

Le cas le plus notable est celui de la société chinoise Subor (ou Xiaobawang, 小霸王). Ses consoles étaient très populaires et étaient explicitement commercialisées comme des « machines d’apprentissage chinois-anglais ». Les modèles les plus avancés, comme le SB-286 et le SB-486, incluaient un clavier et des logiciels éducatifs pour légitimer leur existence. Un fait intrigant est que l’entreprise a même eu recours à l’acteur Jackie Chan pour en faire la promotion, ce qui témoigne de l’ampleur de cette stratégie marketing.  

Par contraste, le Dendy, un autre Famiclone de la même époque, était principalement vendu en Russie et dans les États post-soviétiques. Le Dendy a dominé le marché en tant que console de jeu, devenant un nom générique pour tous les Famiclones de la région. Son succès reposait sur son prix abordable et sa large distribution plutôt que sur une façade éducative.  

La comparaison entre le Batong BT-686 et ces autres clones met en lumière la diversité des stratégies marketing de l’époque. Le Batong se positionne comme un exemple éloquent de la « ruse éducative », poussant l’intégration hybride à son paroxysme avec un écran intégré et un clavier externe, tout comme Subor qui proposait des périphériques intégrés pour accomplir la même tâche. C’est ce souci du détail dans le « travestissement » qui rend le Batong si intéressant.

Famiclone	Fabricant présumé	Caractéristiques hybrides clés	Contexte de marché
Batong BT-686	Batong Electronics (八通电子)	Design tout-en-un avec écran CRT et clavier externe, slots pour cartouches OS/RAM.	Chine/Asie du Sud-Est, extrêmement rare et indocumenté.
Subor (Xiaobawang)	Xiaobawang Company (小霸王)	Console avec un clavier intégré, commercialisée comme « machine d’apprentissage ».	Chine, très populaire, a dominé le marché local, promotion par Jackie Chan.
Dendy	Steepler/Subor	Design de console, peu ou pas de prétentions éducatives.	Russie et ex-URSS, très populaire, vendu comme une console de jeu pure et simple.

Batong Electronics : Un fabricant fantôme

L’un des aspects les plus déroutants du Batong BT-686 est l’absence presque totale d’informations sur son fabricant présumé, Batong Electronics (八通电子). Contrairement à Subor, dont l’histoire est relativement bien documentée , Batong est une entreprise « fantôme » qui ne semble avoir laissé « aucune empreinte numérique ».  

Il est important de noter que des recherches peuvent mener à la confusion avec des entités modernes portant des noms similaires. Par exemple, la société de produits chimiques Zhengzhou Batong Industrial Co., Ltd. a été établie en 1995, ce qui est trop tard pour être le fabricant du BT-686, et elle n’a aucune connexion avec l’électronique de consommation. De même, le système de paiement par carte à puce sans contact d’Hong Kong, l’Octopus (八達通), bien que son nom en chinois contienne les mêmes caractères que « Batong« , n’a aucun lien avec la console.  

L’absence d’informations sur Batong Electronics est un fait historique en soi. Cela reflète la nature de l’ère du bootleg où de nombreuses entreprises opéraient dans une zone juridique et commerciale grise. Ces sociétés éphémères étaient souvent des opérations de production et de distribution opportunistes, qui n’investissaient pas dans le marketing à long terme ou la documentation officielle. Elles produisaient leurs marchandises rapidement pour un marché spécifique, puis disparaissaient ou se réinventaient. La rareté du Batong BT-686 est la conséquence directe de ce modèle d’entreprise fugace, faisant de chaque unité retrouvée un témoin important d’une histoire non écrite.  

L’attrait pour le collectionneur : pourquoi une telle rareté?

Le Batong BT-686 n’est pas seulement un objet rétro ; c’est un objet de collection très recherché. Sa rareté est un facteur important pour les collectionneurs. Les raisons de son statut unique sont multiples.  

D’abord, sa conception tout-en-un, ses composants intégrés et son clavier fonctionnel le distinguent de la multitude de Famiclones qui ont inondé le marché. C’est une machine qui brouille les lignes et qui, pour cette raison, est perçue comme un artefact inhabituel de l’histoire du jeu et de l’informatique. De plus, son statut de système « non documenté », sans brochures de marketing, spécifications officielles ou historique de prix, amplifie le mystère et l’attrait de la découverte.  

Pour les collectionneurs, la valeur d’un objet va bien au-delà de sa simple rareté physique. L’histoire qu’il raconte est tout aussi importante, et l’histoire du Batong est un mystère non résolu, un « chapitre perdu de l’histoire de la technologie ». L’effort de documentation et de préservation par la communauté, comme la vidéo d’un collectionneur surnommé « Russian Video Game Comrade« , devient alors une partie intégrante de la valeur de l’objet. Acquérir un Batong BT-686, surtout un exemplaire complet et fonctionnel avec tous ses accessoires, n’est pas seulement une acquisition ; c’est un acte d’archéologie technologique.  

Le mystère Batong enfin élucidé (ou presque)

Le Batong BT-686 Multimedia Computer est un artefact inhabituel et peu connu. En tant que « mutant ordinateur/console » tout-en-un, il incarne l’ingéniosité et l’astuce qui ont défini l’ère des Famiclones en Asie de l’Est dans les années 1990. Sa conception unique, combinant un écran CRT, un clavier et la compatibilité Famicom/NES, n’était pas un simple hasard, mais la manifestation d’une stratégie de marché ingénieuse : celle de masquer le divertissement sous un déguisement éducatif pour séduire les consommateurs et contourner les obstacles culturels et réglementaires.  

Sources:

Chaîne YouTube RecalBox youtu.be/BY5U6dUxaks?si=vtqmlTqbrii6H-x_&t=1339
ausretrogamer.com/batong-bt-686-the-famicom-frankenstein-we-never-knew-we-needed
wikipedia.org/wiki/Famiclone
handwiki.org/wiki/Engineering:Famiclone
reddit.com/r/cyberDeck/comments/1h7z2kn/chinese_educational_computers_from_the_1990s_they/
reddit.com/r/cassettefuturism/comments/1h68md4/how_cursed_is_this_a_bootleg_famicomnes_running_a/
Chaîne youtube Russian Video Games Comrade youtube.com/watch?v=fzg2XlJ0Lg8
wikipedia.org/wiki/Dendy
wikipedia.org/wiki/Subor
octopus.com.hk
batongchemical.com/about-us/
https://habr.com/ru/companies/serverspace/articles/894614/
https://www.4gamer.net/games/999/G999905/20230713065/screenshot.html?num=002
Compte X : @youkal3
Compte Mastodon : @Pikuma
bootleggames.fandom.com/wiki/Subor_SB-48